Taiji

TAIJI, la ville de la honte ?

Dans notre article sur Katsuura (petit village de pêche situé dans la préfecture de Wakayama), nous avions brièvement évoqué notre étonnement concernant la vente de viande de baleine et de dauphin. Stupeur doublement accentuée par le choix des boutiques locales de proposer également des bijoux fabriqués dans de l’os et des dents de baleine.

Un constat quelque peu déroutant lorsque l’on sait que de nombreuses espèces de cétacés sont aujourd’hui en voie de disparition (en grande partie à cause de la pêche intensive…). Le Japon avait d’ailleurs été épinglé en 2014 par la Cour Internationale de Justice [1]. Une mise en garde qui n’a pas été suffisante car le pays a depuis repris la chasse commerciale de la baleine. [2]

Mais alors, malgré ce contexte où la chasse à la baleine est boycottée par le monde entier, pourquoi trouve-t-on encore ce genre de produits à la vente ?
Entre tradition et enjeux économiques, la ligne est très fine.

La chasse à la baleine au Japon ne date pas d’hier. Cette pratique ancestrale daterait en effet du 12e siècle. A la fin la 2nde guerre mondiale, elle prend une importance capitale, apportant aux Japonais affaiblis par la famine, une importante source de nourriture. [3]

Jusque dans les années 70, avant que l’on s’alarme d’une disparition imminente de l’espèce et que l’on condamne enfin ces actes, la chasse au grand mammifère continua. Progressivement, les enjeux sociétaux s’éclipsèrent au profit de l’économie. Un des exemples les plus probants se trouve dans le village de Katsuura. On y construit dans les années 60, un énorme Hôtel Ressort (Hôtel Urashima) destiné à accueillir le tourisme de masse lié à la baleine. Des excursions sont toujours proposées en bateau depuis ce village pour aller observer ces majestueux mammifères marins.

L’entrée du Japon en 1951 au sein de la Commission baleinière internationale (CBI) (organisation chargée de conserver et gérer la population mondiale de cétacés) n’aura pas de réel impact sur la régulation de la pêche de masse. Sous couvert de recherches scientifiques, le Japon poursuit en effet ses activités lucratives. [4]

Bien sûr, nous n’étions pas au courant de tout cela avant de commencer notre visite…

Après un tour à l’office de tourisme de Katsuura, on nous a conseillé de terminer notre séjour par le musée de la baleine à Taiji et de son parc dans le petit village voisin à 10 min de train. Nous étions ravies de cette proposition, pensant trouver des réponses à nos interrogations. Nous nous attendions en effet à un musée scientifique, en faveur la préservation de la baleine. De plus, nous avions compris qu’il était possible de voir là-bas des petites baleines. C’est tout naturellement que l’on s’est dit « chouette, ils ont des nurseries pour l’observation et la protection de l’espèce ! ». Nous avons été navrées de constater par la suite que nous ne verrions rien de tout ça…

Musée de la baleine, Taiji

Après avoir pris le bus depuis la gare de Taiji pour le musée, nous sommes arrivées devant un bâtiment en piteux état. Un édifice qui a visiblement souffert d’un manque d’entretien depuis sa construction dans les années 70. Nous vous laissons en juger par vous-même sur les photos. L’état des installations laisse également à désirer, en témoigne cette piste de kart à l’abandon. A noter que « l’attraction » est payante…

Piste de karting du parc

Nous payons 1500 ¥ l’entrée par personne, soit plus de 12 €. Dans le hall d’entrée, de grands squelettes de baleine trônent suspendus au plafond.

Hall du musée

On monte quelques escaliers pour commencer la visite et c’est là que la désillusion commence : des morceaux de baleine grossièrement découpés et exposés dans des bocaux de formol tapissent les étagères. Bien que ce genre d’exposition existe dans certains musées d’histoire naturelle, ici la présentation laisse à penser que les organes ont été découpés sans grande considération. Paupière coupée dans un cube de chair extrait d’un crâne ou encore des dizaines de fœtus extraient à plus ou moins long terme ont appuyé cette intuition. Nous n’avons pas voulu prendre de photo.

Bref, gros malaise rien que pour cette première partie. Sans compter que la vétusté de l’extérieur se confirme aussi à l’intérieur.

On poursuit difficilement pour arriver à l’étage. Ici sont exposés différents outils de chasse : de la petite lance au gros harpon, encore utilisé sur les baleiniers.

Nous nous rendons par hasard sur le toit où nous pouvons apercevoir un peu plus loin un spectacle de dauphins. Nous qui n’aimons déjà pas trop Marineland, participons aujourd’hui à cela…

Bassin où vivent les dauphins du parc

Les bassins sont extrêmement petits pour beaucoup de bêtes. Et, à l’image du musée, rien n’est entretenu : les bassins sont insalubres avec de l’eau verte, pleine d’algues. Plus nous avançons, plus il est difficile de concevoir que ce musée fait toujours pas mal d’entrées ; beaucoup de famille s’y rendent le week-end. Les enclos sont dans un tel état que nous sommes en droit de nous interroger sur l’intérêt (ou non intérêt) porté au bien-être des animaux…

La visite devient de plus en plus malaisante. Mais coincées ici, avec seulement 3 / 4 bus à la journée qui effectuent les liaisons avec la gare, nous sommes comme contraintes de continuer.

La crique des baleines

Nous tombons sur les fameuses petites baleines en pleine représentation… Elles vivent apparemment toujours ici, dans une crique plutôt grande mais très peu profonde. En sachant qu’au Japon les températures printanières et estivales montent très haut, je vous laisse imaginer jusqu’où la température de l’eau dans laquelle elles vivent peut monter.

Nous sommes là, devant des baleines en train de faire des pirouettes pour des gens comme nous qui, en payant l’entrée, sont complices de cette maltraitance. Si seulement nous avions su ce qu’il se passait ici avant…

Spectacle de baleines

Nous finissons (enfin) cette très longue journée par la visite d’un aquarium. A l’image de ce que nous avons vu avant, le bac où se situe les dauphins est petit (une dizaine de dauphins tournent en rond à l’intérieur), vieux et très sale.

Le « bac » à dauphins
Nous pouvons que constater le manque d’entretien de l’aquarium

Nous sortons du musée un peu retournées. Ce qui nous a fini, c’est de voir qu’au restaurant du musée ils proposaient en menu de la viande de baleine et des sushis de dauphin. Le timing est quelque peu douteux…

En attendant le bus, nous tapons sur google « Musée de la baleine à Taiji » pour voir un peu comment la ville présente ça. Surprise générale : pas de site internet pour ce « musée » mais à la place, des articles abominables sur Taiji avec sa chasse en masse à la baleine et au massacre de dauphins.
Pourquoi n’a-t-on pas fait cette recherche avant ? aucune idée…

Nous avons pu comprendre de part ces recherches internet, qu’au-delà d’une tradition revendiquée par la ville de Taiji, ce massacre de mammifères marins est avant tout un commerce pour divers parcs aquatiques du monde  ; beaucoup se fournissent en animaux ici.
Quand les chasseurs partent, ils en encerclent plusieurs centaines et après avoir sélectionnés « les plus beaux » soit les plus vendables, ils massacrent les autres.[5] Ceux qui parviennent à s’en sortir meurent quelques temps plus tard de traumatisme et de solitude.

photo tirée du site www.dolphinproject.com

Les autorités de la préfecture de Wakayama connaissent cette réalité, mais pourtant rien est fait.

Un film récompensé en 2010, The Cove, en a fait le meilleur documentaire. On vous conseille vivement de le regarder si vous n’avez pas peur des images violentes que peuvent engendrer cette chasse (Bande Annonce en bas de l’article).

A la suite de ce film coup de poing, des associations de protection des animaux sont allées à Taiji pour faire entendre leur voix concernant ce massacre. Tout ne s’est toujours pas vraiment bien passé entre les autochtones et les activistes tant et si bien que désormais, la ville de Taiji est devenue impénétrable. En effet, en arrivant à la gare, vous n’avez que le choix de la navette pour vous rendre au musée de la baleine. Impossible d’arpenter à pied les grandes routes qui traversent Taiji.

Baleinier situé à l’entrée du parc

Nous allons conclure cet article en précisant que ce qu’il se passe à Taiji ne s’ébruite jamais au monde entier, pas même dans leur propre pays : tout est fait pour que cela reste caché. Nous avons eu parfois beaucoup de mal à trouver des réponses à nos questions de départ. Beaucoup de japonais ne connaissent même pas l’existence de ces pratiques car en premier lieu ils ne voyagent pas beaucoup dans leur pays et en deuxième lieu, eux-mêmes ne mangent jamais de baleine ni même de dauphin ! [6]

Merci à Clémence D. de nous avoir aidé à rédiger cet article.

Pour plus d’informations :

https://seashepherd.org/?s=taiji

https://www.liberation.fr/planete/2018/12/26/le-japon-reprend-la-chasse-a-la-baleine-au-grand-dam-de-la-communaute-internationale_1699793

https://www.francetvinfo.fr/monde/japon/pourquoi-le-japon-tient-tant-a-chasser-la-baleine_3117287.html

https://www.francetvinfo.fr/monde/japon/pourquoi-le-japon-tient-tant-a-chasser-la-baleine_3117287.html

The Cove, bande annonce :


5 commentaires

  • Sophie

    L’une des faces sombres du Japon 🙁

    Merci pour cet article qui soulève un sujet tabou et dont on parle peu.
    L’année dernière à Kyoto, j’avais assisté à une manifestation pacifique contre la chasse au dauphin à Taiji.
    L’événement était peu médiatisé, mais pourtant récurent chaque année.

    Espérons que ce massacre se termine un jour.
    En attendant, tout ce que nous pouvons faire à notre échelle c’est en parler, informer les gens, et ne plus être complice de ces atrocités en ne nous rendant plus dans les parcs aquatiques, en France et ailleurs.

  • Anne

    Mais quelle horreur…. à partager et faire connaître 😢 pour que cela s’arrête…
    Merci pour vos infos… jolie…ou..triste comme celle ci.
    Bisous

  • Patoo

    Même si tout cela est bien triste, merci d avoir écrit cet article.
    En espérant que les visites s arrêteront dans ce parc ainsi que la consommation de ces cétacés 😢

    • Charlie

      Il y a à peine quelques jours, avec un petit groupe de personnes engagées, nous commentions et demandions l’arrêt de la promotion des visites de parcs aquatiques de ce genre, sur les réseaux sociaux, et par des sites internet d’attractions locales (que je ne condamne absolument pas car on ne peut pas toujours savoir dans quoi on met les pieds!)
      Nous avons pu discuter et faire prendre conscience de cette dure réalité à certains, tandis que d’autres nous ont traité de « radicalistes, et qu’après avoir dénigré « l’industrie du loisir animal », quelle serait l’étape d’après… dénigrer un pays ou une nationalité »
      C’est parti loin, oui…
      L’essentiel c’est que les personnes informées et désapprouvant ces pratiques, boycottent ces endroits et communiquent sur ça.
      Merci pour votre article.
      C’est à la fois bien et pas bien d’avoir vécu cette expérience.
      Mais hélas, énormément de gens se rendent dans ces parcs en pensant que les animaux sont bien et que leur argent ira à leur entretien… Je l’ai cru moi aussi…
      Avec votre autorisation, si je peux partager votre article? (J’attendrai votre feu vert)

      Très bonne continuation!

      • Charsseaud

        Tout d’abord un énorme merci pour ton commentaire. Tout ce que tu as écrit, on approuve à 1000%.

        Nous avons souri lorsque tu as mentionné les critiques qui font la corrélation entre la maltraitante animale et le dénigrement d’une nationalité… le raccourci est un peu vite fait, non ? 😂

        Nous sommes par ailleurs contentes que votre intervention ait pu changer quelques regards en dévoilant la face cachée de tout ça. En tout cas bravo ! Parce que s’engager sur un tel sujet n’est pas chose facile.

        Tu peux (largement) partager cet article qui est dans la continuité de ce que vous avez déjà fait, et je t’en remercie d’avance.

        À très bientôt 😊

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